Elsa JOB PIGEARD (Orthophoniste spécialisée dans la petite enfance, co-fondatrice de l'association Joue Pense Parle), Emmanuel Lemoine (Coordinateur de l'association Pieds dans le Paf, spécialisée dans l'éducation média à Saint-Nazaire), Anne Françoise (Médecin dans un service de protection maternelle infantile à Nantes), Tiffany Houlle-Heliard (Psychologue Clinicienne auprès de l'École des Parents et des Éducateurs de Loire Atlantique) se sont réunis lors de la Nantes Digital Week 2018 pour évoquer les mécanismes complexes, sociales, sanitaires, éducatives et psychologiques à l'ère de la société moderne, nous donnant accès à d'innombrables objets connectés qui nous permettent les fantasmes de tous les possibles et des impossibles sauf ceux de nous passer d'eux pour le bien de notre équilibre.
- Pieds dans le Paf c'est une association d’éducation populaire présente depuis 30 ans, dont l'action consiste en la critique objective de la télévision, en référence au PAF (Paysage Audiovisuel Français) : l'idée est de bousculer les grandes instances de l'Audiovisuel à l'époque (sur Paris), créer des jeunes téléspectateurs actifs, voire des citoyen, des médias qui soient actifs face à la télévision principalement. L'association qui n'a cessé d'évoluer, oriente davantage ses actions vers l’éducation média que vers la télévision (aussi devenu multi-écran et multi-médiatique, ce qui rend l'ampleur de la tache encore plus vaste). - Emmanuel Lemoine, Coordinateur associatif
La Nantes Digital Week est un événement qui aborde des sujets scientifiques (tels que l'impact de l'intelligence artificielle), sociétaux (le digital et la petite enfance). La conférence/ débat réunissant:
- Emmanuel Lemoine (Coordinateur de l'association Pieds dans le Paf, spécialisée dans l'éducation média à Saint-Nazaire),
- Anne Françoise (Médecin dans un service de protection maternelle infantile à Nantes),
- Tiffany Houlle-Heliard (Psychologue Clinicienne auprès de l'École des Parents et des Éducateurs de Loire Atlantique),
- Elsa JOB PIGEARD (Orthophoniste spécialisée dans la petite enfance, co-fondatrice de l'association Joue Pense Parle).
L’événement a été l'occasion d'aborder les problématiques actuelles comme :
- les troubles potentiels engendrés par une hyper connexion de l'enfant,
- le rôle de la famille (parents, grands parents) entre autres,
- les postures à adopter (face à ce monde ultra connecté et en transformation) entre la régulation ou le dépassement à cause de nos habitudes et nos usages souvent dénués de recul.
Notre équipe a essayé de vous rapporter le contenu du débat avec des propos fidèles à la perception des intervenants.
La société à l'ère du digital
Nos actions consistent à informer et éduquer le citoyen sur les perturbations sociales liées au numérique. Par exemple nous recevons les plaintes des parents (submergés par les temps d'écrans, etc), nous informons sur le travail du journaliste avec les différent médias (radio, télé, internet) et nous évoquons le monnayage de nos données personnels par les réseaux sociaux.
La période s'étalant sur les 10 dernières années, correspond au bricolage car elle marque la naissance des enfant dans une période assez inédite pour les parents et les professionnels. la preuve est dans l'organisation régulière de ce genre de conférences qui n’existaient pas il y a 10 ans. Des initiatives qui sont nées avec l'usage massif des écrans : les points de vigilance apparaissent de plus en plus et les questionnements liés à l’addiction, l'écologie, les troubles du sommeil et de la concentration, les dangers des ondes électromagnétiques apparaissent. Chez Pieds dans le Paf nous misons davantage sur l'intelligence citoyenne contre celle artificielle, avec une capacité d'esprit critique, d'où la mise en place de points vigilants.
Elsa JOB (Orthophoniste) : avec l'envahissement des écrans dans les ménages, nous avons ressenti le besoin de sortir de nos cabinets de soin pour faire de la prévention primaire sur :
- le processus de développement du langage chez l'enfant, avant et après sa scolarisation,
- ce qui vient perturber ce processus d'apprentissage du langage,
- l'importance du jeu libre (avec son corps et ses 5 sens) qui est le véritable travail de l'enfant,
- ce qui a nourri son processus de langage, sa pensée, son imagination, son alimentation (variée ou non), sa capacité à tisser le lien avec l'autre en face de lui (son environnement d'évolution).
Depuis ces 10 dernières années, nous avons constaté que l’activité sur les écrans tend à remplacer toutes les autres (ci dessus, considérées comme primordiales) : par écran il faut entendre le smartphone, la tablette et la télévision, l'exposition active (le bébé de 2 ans avec une tablette intégrée à la poussette, la télévision allumée en permanence à coté de l'enfant qui joue). Ces objets ont plusieurs fonctions nocives pour l'enfant, comme la distraction ou l'interruption dans ce qu'il doit faire de plus essentiel à cet âge, à savoir le jeu libre. Nous sommes face au paradoxe social de la performance et de l'empathie qui oblige les parents à offrir précocement ses objets à leurs enfants, qui y trouveront leur épanouissement : comme si l’enfant ne possédait pas tous ces jouets il ne sera pas performant.
Or il y a un écart entre ce qui est promit par les fabricants et ce qu'il en est réellement concernant l'épanouissement social. Selon une étude menée en 2016 , nous consultons en moyenne 300 fois nos téléphones par jour. Il faut se placer du coté du bébé qui est entrain de construire sa relation avec sa maman (ce qui se fait essentiellement par le regard) : nous nous retrouvons dans une situation dans laquelle, l'enfant est sevré du regard (essentiel) de sa mère au profit des écrans, un phénomène qui participe à sa construction. Referons nous à une autre étude statistique, selon laquelle, sur le temps libre des enfants, 5 h d'écran par jour pendant toute la durée des vacances scolaires de 2 semaines, correspond à 19 jours plein de temps de veille de l'enfant.
Tiffany Houlle-Heliard (Psychologue Clinicienne) : ce qui ressort des entretiens parents, quotidiennement, c'est l’angoisse de plus en plus massive de la solitude, ainsi, nous sommes de plus en plus dans cette connexion avec les autres. Mais nous amplifions cette peur d'être seul, cette peur de ne plus pouvoir penser par soi-même. Par exemple, lorsqu'on ressent les émotions, au lieu de s'écouter soi-même ou entrer dans une discussion authentique avec son entourage, on préfère utiliser internet pour donner du sens à ses émotions, d'où la peur de se reconnecter à soi-même, penser par soi-même. la connexion avec soi, faire la part des choses sont des démarches intimement liées avec la patience or nous sommes dans l'immédiateté : il s'agit d'apprendre à se connecter plus à soi-même et moins aux écrans. ce phénomène qui touche toute la société, peut causer chez les enfants des difficultés dans l'apprentissage qui nécessite l'effort et la patience or nous sommes dans l'immédiateté. Avant nous prenions nos photos et nous prenions le temps de les développer avant d'obtenir le résultat final, cette attente était assez constructive et structurante pour le psychisme. Aujourd’hui on n’attend plus beaucoup face aux aléas de la vie, que nous soyons parents ou enfant. Ce qui pose une difficulté à être seul avec soi-même : on crée beaucoup de vide et quand on se sent seul on a recours de manière illusoire au smartphone qui nous donne l’impression de ne pas être seul, dans une certaine mesure.
Anne Françoise (Médecin) : prématuré par nature ( selon les études tout enfant aurait besoin de rester un temps supplémentaire dans l’utérus), l'enfant naît avec un brouillement cérébral considérable. Par la suite l'environnement va faire évoluer son cerveau qui est complètement différent de celui de l'adulte. Il apprend avec l'environnement, va faire des connexions plus ou moins bonnes avec cet environnement grâce auquel il va apprendre en imitant. Il a besoin de la continuité d'existence ce qui passe par des filtres qu'il faut accompagner de surprises ponctuelles, ce qui permet de se rapprocher de l’équilibre idéal à son développement.
L'enfance face aux troubles causés par le digital
Selon Elsa JOB (Orthophoniste), en 2013 (il y a seulement 5 ans, à l’échelle de la France ) :
- 1/3 des enfants de moins de 3 ans prenaient tous leurs repas devant un écran,
- 15% des bébés de 15 jours à 3 mois mangeaient déjà devant une distraction TV/Ecran.
Les enfants qui ont trop longtemps été en contact avec les écrans, ont du mal à évoluer en société : certains d'entre eux ont du mal à faire la pince (donner une poignée de main) en parallèle ils développent le coté intuitif à cause des écrans tactiles (synonyme du moindre effort et de l'effleurement qui nécessite l'usage d'un doigt). Ces enfants ont beaucoup de mal à se servir de leurs mains (absence d'activités liées au jeu libre). De plus les écrans favorisent énormément de micro-ruptures dans la conversation. Le jeune enfant a besoin d'un autre humain, une notion qu'on est entrain de perdre de vue dès sa naissance : par exemple les parents substituent souvent la présence d'une personne aux berceuses disponibles sur youtube, depuis la maternité qui correspond aux premiers instants du nourrisson. L'action de chanter une comptine à son enfant est une tache que l'on peut confier à une machine? Pour moi (Elsa JOB), je pense que non, parce qu'il y a une différence de taille dans la modulation de la voix, la gestuelle, autant de paramètres qui manquent à la machine pour rassurer l'enfant. Ainsi, nous assistons à l'envahissement d'objets qui dérégulent les fonctionnements innés de communication que nous avons depuis la nuit des temps. L'idée n'est donc pas de bannir totalement les technologies de notre quotidien mais de les utiliser le plus tard possible lorsqu'il s'agit de l'enfant, c’est-à-dire après 6 ans : une période nécessaire pour bien laisser le temps à la pensée infantile de se développer correctement, dans le respect de son innocence, son imaginaire, sa créativité, pour la construction saine de la personnalité.
Selon Anne Françoise (Médecin), les recherches scientifiques nous démontrent à l'heure actuelle, qu'un cerveau solitaire (qui n'interagit pas) n'a pas vraiment d'utilité, il faut qu'il soit en connexion avec les autres cerveaux, à cause des neurones miroirs. Elle s’appuie sur l'ouvrage Votre cerveau n'a pas fini de vous étonner qui explique en détail le rôle d'un neurone miroir. Ce sont des neurones qui permettent d'imiter nos semblables : dans son développement personnel, l'enfant apprend en imitant or dans le cas présent il se retrouve de plus en plus confronté aux contenus en ligne, de manière précoce.
Elsa JOB (Orthophoniste) : l'enfant, de plus en plus exposé aux écrans et à leurs contenus, finit par imiter ces derniers et développer l'attachement pour le virtuel au détriment d'un lien affectif humain, authentique. Ces cas sont de plus en plus fréquents dans le milieu du soin. Selon elle, d'après les études psychologiques, si les neurones miroirs ne sont pas développés pendant la période propice, l'enfant (plus tard adulte) pourra très difficilement combler cette étape de développement plus tard.
La notion de réversibilité à l'ère du digital
L'animatrice : la notion de réversibilité doit-elle être prégnante dans nos réflexions? Est ce qu'un enfant fortement exposé aux écrans, entre 3-6 ans, et donc dépendant, peut être accompagné vers une démarche d'autonomie après cet âge?
Tiffany Houlle-Heliard (Psychologue Clinicienne) : c'est important de pouvoir dire que rien n'est jamais figé avec l'être humain. Prenons l'exemple des adolescents qui basculent dans la délinquance et qui peuvent tomber sur de belles rencontres (un éducateur sportif, un professeur, un ami, etc) qui les hissent vers le haut et vers la voie du retour à la normale. La plasticité du cerveau n'est plus à démontrer, ce qui veut dire qu'il n'est jamais trop tard pour se rendre compte de la dérive de l'enfant fortement exposé aux écrans et de prendre les mesures nécessaires pour l'aider : être parent c'est faire des erreurs et travailler sur cela pour faire mieux.
Elsa JOB (Orthophoniste) : la proximité des enfants avec les écrans est un enjeu sanitaire (la consigne d'interdiction d'écran sur les enfants de moins de 3 ans est désormais inscrite sur le carne de santé), scolaire (la loi d'interdiction du portable à l'école).
Par exemple les tablettes sont utilisées en service de pédiatrie (dans les soins douloureux) : l'écran devient un sédatif qui détourne l'attention de l'enfant pour l’empêcher de ressentir de la douleur et de pleurer. Dan ce genre de cas ça peut être bien.
Quelques préconisations fidèles à l'ère du bricolage dans une société de plus en plus connectées
Elsa JOB (Orthophoniste) se base sur la règle des 3-6-9-12 (de Serge Tisseron) : pas d'écran avant 3 ans, pas de console individuelle avant 6 ans, internet accompagné à 9 ans, internet individuel à 12 ans. Mais elle revient à la conclusion que cette règle est difficilement applicable avec l'envahissement croissant des ménages par les écrans. Les parents revendiquent davantage des moments de déconnexion.
Tiffany Houlle-Heliard (Psychologue Clinicienne) reprend sur la règle des 4 pas, toujours avec une certaine méfiance même si elle juge cela moins culpabilisant et plus tenable sur la durée : pas d'internet le matin ( trouble de la concentration), pas d'écran à table (entrave à la communication), pas d'écran dans les chambres et pas d'écran avant de se coucher. Elle prône la logique du juste milieu face à toutes ces règles dans la mesure où l'enfant grandit normalement et pratique des activés intellectuelles et physiques de son âge.
Elsa JOB fait la surenchère sur la logique selon laquelle l'enfant doit apprendre à se servir de sa bouche pour ne plus baver, mordre, apprendre l'hygiène en arrêtant de tout mettre dans sa bouche, pour parler et aussi manger. Toutes ces actions qui concernent l'oralité constituent des étapes essentielles dans le développement de l'enfant. Or l'usage des écrans pendant les repas influence le développement de l'oralité de l'enfant. Car l’écran est un stimulus venant de l’extérieur et captant complètement l'attention dite exogène de l’enfant, une phénomène considéré comme irrésistible pour l'enfant car cela touche la zone archaïque du cerveau. Il est donc intéressant d'accompagner l'enfant sur la maîtrise de son attention endogène (nécessaire pour la concentration, l'apprentissage) : 15 mn d'écran dit récréatif avant d'aller à l'école sont suffisantes à déréguler ou épuiser les capacités attentionnelles de l'enfant.
Selon Emmanuel Lemoine (Coordinateur) c'est difficile à l'heure actuelle, d'apporter des solutions miracles parmi les initiatives naissantes, il y a l'introduction de journée thématique à l'école (exemple : la semaine sans écran dans les établissements de Nantes nord).
Soumaïla Kotié Diakité
Rédacteur en chef chez www.arcareconcept.com
Social Média Manager chez l'Agence de Com' Concept 4'part
Diplômé en Master des Projets Numériques (Université Toulouse II)
Maîtrise Administration Générale et Territoriale (Université de Limoges)
Maîtrise Management des Entreprises Sanitaires et Sociales (IAE de Limoges)
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